Absolu et Conscience
Conférence donnée par Jaya Yogācārya le 11 mai 2012
– Lorsque nous abordons la philosophie indienne spiritualiste, il est un domaine incontournable auquel tout aspirant en yoga va être confronté, à savoir celui des notions d ’Absolu et de l’individualité.
Tout le travail de l’apprenti yogi va être de réaliser la vérité de cette connaissance.
Les sages parlent d’un absolu inqualifiable qui gouverne malgré nous nos lois universelles et auxquelles nous sommes assujettis. Ce sont celles du temps et de l’espace. Notre dimension humaine définie par ces deux constantes, risque fort de n’avoir qu’une compréhension limitée de ces concepts.
La philosophie yoguique a toujours déclaré qu’il existe un état "hors du temps" où il n’y a ni mort, ni naissance, ni croissance, ni douleur, ni jour, ni nuit.
Les yogis affirment qu’un tel état peutêtre atteint en méditant sur le "Soi intérieur" ou en réalisant dans son être, la déclaration suivante ;
" Je suis Partout et en Tout, Je suis le soleil et les étoiles, Je suis le Temps et l’Espace, je suis Cela qui Est".
En devenant le temps et l’espace, l’être n’est plus asservi par eux. En étant omniprésent, nul besoin d’aller quelque part.
"Le petit scarabée"(celui veut apprendre) demandera alors ; "mais pourquoi l’infini insondable devient-il un monde fini ?"
– L’Absolu, défini en Vēdānta वेदांत par le concept de Brahman ब्रह्मन् (sans nom et sans forme) devient l’Univers lorsqu’il passe par trois principes :
– Le temps, l’espace et la causalité.
Cet absolu qui semble donc être Conscience donne naissance à deux phénomènes :
– Le mental et la matière.
ABSOLU = CONSCIENCE (temps ; espace ; causalité) => Mental et Matière
Notre entité individuelle, l’Ātman आत्मन्, le Jīva जीव (l’âme individuelle), est issue de cet absolu et présente comme lui son caractère d’indivisibilité, mais ses véhicules sont l’esprit et le corps. L’âme est porteuse de cette conscience pure qui est en toute chose. Ses instruments que sont l’esprit et la matière sont considérés par contre comme des outils limités, voire inconscients, ou du moins, " moins conscients d’être cette conscience infinie".
"Je dis toujours à mes élèves qu’ils sont des enfants de l’univers qui valent beaucoup plus qu’ils ne le pensent. Cette conscience en eux est un bien précieux, de même qu’ils sont précieux à l’univers."
La matière et l’esprit sont comme l’avers et le revers d’une médaille et donnent à l’homme cette sensation de finitude. Cependant, ces deux aspects sont la manifestation active de la conscience pure lorsque celle-ci s’exprime en terme d’énergie. Manifestée ainsi, elle devient la śakti शक्ति. L’Univers est cette śakti manifestée de l’Absolu.
L’homme est sujet à un phénomène qui est celui de l’illusion, la Māyā -śakti माया शक्ति, la puissance d’illusion. Cette dernière dépend du degré d’évolution et de conscience de l’individu.
L’homme est la plupart du temps dans la divergence et le différencié.
Pour le Vēdānta, la connaissance de l’homme est de deux sortes ;
*Jñāna Svarūpa ज्ञान स्वरूप, l’expérience parfaite de la Conscience,
*Jñāna vṛtti ज्ञान वृत्ति l’expérience imparfaite et ordinaire du monde.
En théologie hindoue, la pure conscience est Śiva शिव et son pouvoir actif est śakti.
śakti devient donc le pouvoir divin, la mère de l’univers manifesté, la force de vie dans le corps de l’homme. Elle y réside dans son centre le plus bas, à la base de la colonne vertébrale.
Le monde manifesté vient donc du pouvoir de la śakti. Lorsqu’elle se manifeste dans l’être humain, elle développe d’abord le mental, puis les sens, puis les cinq éléments qui constituent la matière.
C’est ainsi que le définit la science yoguique. Il est donc important de se dégager d’une perception linéaire inverse par laquelle le monde se manifesterait à partir de notre propre centre individuel. Ce serait là vision égocentrique qui n’incorporerait pas les deux notions indissociables du travail yoguique que sont l’évolution et l’involution.
Lorsque l’Univers est potentiel et non manifesté, la Prakṛti प्रकृति (la nature) tout comme la śakti est dans l’état d’avyakta अव्यक्त, de germe composé des trois guṇa गुण à savoir Tamas तमस्, Rajas रजस्, et sattva सत्त्व. Là, les trois qualités sont en état d’équilibre et ne s’influencent pas mutuellement. Lorsque la cause subtile de toute chose se matérialise et devient visible dans l’univers , elle devient Vikṛti विकृति.
Vikṛti est divisible et devient esprit et matière.
La science conclut de même : tout est énergie et l’énergie est conscience.
Lorsque l’absolu prend la forme de la pensée, c’est une énergie en mouvement, qui devient plus lente et plus durable lorsqu’elle se manifeste comme matière.
Dans la classification Samkhyenne des trois corps, à savoir causal, astral et physique, ces derniers se développent à partir de la śakti-Prakṛti.
C’est donc le corps causal qui est la graine, le germe d’où viennent ensuite le corps astral (personnalité) et le corps grossier (physique) .
L’univers provient donc de l’énergie. Dans le corps humain, śakti-Prakṛti est Kuṇḍalinī- śakti कुण्डलिनी शक्ति , le pouvoir du serpent.
La conscience infinie, tout en gardant sa nature transcendante, devientKuṇḍalinī-śakti rétrécie dans l’individu à un point étroit de conscience par lequel ce dernier fait l’expérience matérielle.
Ce processus est illustré par le diagramme du triangle inversé, symbole de śakti-Prakṛti.
Les trois sommets du triangle représentent les trois pouvoirs manifestés
- icchā śakti इच्छा शक्ति, le pouvoir de la volonté,
- Jñāna , śakti ज्ञान शक्ति , le pouvoir de la connaissance
- Kriyā śakti क्रिया शक्ति , le pouvoir de l’action.
Le pouvoir de la manifestation est réalisé quand les trois sommets sont joints. Cette śakti s’appelle alors tripura त्रिपुर, la triple énergie.
C’est dans ce triangle que la Kuṇḍalinī se manifeste par le symbole du serpent enroulé.
De même que l’atome possède un noyau apparemment statique autour duquel gravitent des électrons, de même Kuṇḍalinī-śakti est une forme apparemment statique autour de laquelle s’activent le prāṇa प्राण et le Mental.
Quand la Kuṇḍalinī-śakti est au repos ou n’est active que dans les centres inférieurs, l’homme n’a qu’une expérience limitée du monde.
Quand elle s’éveille et qu’elle se dirige vers le haut, elle attire avec elle les pouvoirs mouvants de la création et s’unit à la conscience pure.
Jaya Yogācārya
bibliographie :
"livre du yoga" de Swami Vishnu Devananda