Les lois spirituelles
4e partie
« Le Lieu Saint »
Conférence donnée par Jaya yogacharya en cours de méditation du vendredi 1er avril 2016
Après avoir passé tant de temps sur le sentier, les pieds dans la poussière du sable, après avoir éprouvé la soif de la connaissance qui anime nos pas, après avoir essuyé la blessure du feu sur nos peaux tannées, après avoir senti la douleur dans nos genoux par l’effort de la marche et de nos postures, nous arrivons au terme de ce lent voyage. Les bêtes sont fatiguées autant que les hommes. Les besaces sont vides. Nos foulards sont ternis et crasseux sur notre visage. Nos cheveux sont encollés. Il n’y a pas de palmiers qui cacheraient une oasis, pas de caravansérail pour nous accueillir, pas de puits ni d’étoiles.
La vie est aussi parfois ce désert apparent pour l’âme.
C’est dans ces moments-là que l’homme peut remettre en question ses croyances, celles qui l’ont fait avancer jusque-là.
Mais, souvenez-vous du chemin !
Souvenez-vous de notre dernier bivouac. Nous y avons, à la lueur du feu, prononcé les mots salvateurs que sont les mots « compassion, action, possible ». Souvenez-vous qu’ à notre halte précédente, des phrases vous ont donné le courage ; « Le lâcher-prise ouvre en soi l’état de confiance ! » ou « La patience transcende le temps ! ».
Souvenez-vous encore, lorsque sur le chemin, vous peiniez à comprendre et que je vous rappelais que nous étions tous unis par notre nature cosmique. Souvenez-vous surtout, que le premier grand pouvoir est celui de la nature.
Il est donc temps, plus que jamais, de vous asseoir, de vous reposer, d’être dans le temps, celui de l’instant, avec toute votre intensité, votre attention. La nuit vous semble noire et seuls vos compagnons de route sont finalement source de réconfort. On se sent seul parfois dans la vie !
Le désert semble silencieux et sauvage et le souffle de l’autre est rassurant. Et pourtant, et pourtant…
Faites silence. Il est temps !
Si vous êtes-là, c’est que vous ne pouvez pas ne pas y être !
Si vous faites silence, si vous retrouvez le même que celui que vous rencontrez dans vos méditations, alors vous pourrez voir, même les yeux ouverts, ce qu’il y a dans la nuit noire.
Observez, levez la tête, reliez-vous à l’absolu du monde. Reliez-vous à la sagesse universelle.
Elle œuvre à la vue de tous, mais peu d’entre-nous la voient.
Les étoiles sont là pour nous y aider ! vous dira le mystique.
Voyez, au moment où je vous parle, celle qui pointe de sa timide brillance et qui s’intensifie pour votre seul regard. Votre esprit moderne pose sur elle un regard relatif par la connaissance astrophysique que vous en avez, et pourtant, cela n’enlève pas le sacré de l’instant.
Il est donné à la notion de sacré la définition suivante :
« Le sacré est une notion d’anthropologie culturelle permettant à une société humaine de créer une classification entre les différents éléments qui représentent son monde : objets, actes, espaces, parties du corps, personnes, valeurs, etc. Le sacré désigne donc ce qui est mis en dehors des choses ordinaires, banales, communes ; il s’oppose essentiellement au profane, mais aussi à l’utilitaire ».
On considère souvent que l’acte de sacraliser est spécifique des civilisations anciennes. Certains penseurs, tel C.G Jung, estiment toutefois que la sacralisation reste un phénomène toujours présent dans les sociétés modernes mais qu’elle opère de façon plus inconsciente. Le sacré, qui vient toujours d’une tradition ethnique peut être mythologique, religieux ou idéologique. Il désigne ce qui est inaccessible, indisponible, mis hors du monde normal, et peut être objet de dévotion et de peur.
Le sacré est synonyme d’espoir, d’authentification de l’homme en un principe supérieur, celui du monde non intelligible. Il semble être une donnée constitutive de la condition humaine, une catégorie universelle de toute conscience humaine face à sa finitude et à sa condition de mortel. Le sacré est associé au concept du "numineux". Le numineux selon Carl Gustav Jung : "est ce qui saisit l’individu, ce qui venant d’ailleurs, lui donne le sentiment d’être". C’est une expérience affective d’être, celle de son identité".
Selon Mircéa Eliade, le sacré est à l’origine de l’homme religieux, à savoir celui qui connaît par lui-même la vision transcendante et globalisante. C’est autour de la conscience de la manifestation du sacré que s’organise le comportement de ce dernier. Il croit à une réalité absolue, le sacré, et de ce fait assume dans le monde, un mode d’existence spécifique. Le sacré se manifeste sous une multitude de formes : rites, mythes, symboles, hommes, animaux, plantes, etc. En saisissant l’irruption du sacré dans le monde, que l’on appelle " hiérophanie", il découvre ainsi l’existence d’une réalité absolue qui transcende ce monde-ci tout en s’y manifestant et le rend réel.
Découvrir cette dimension sacrale du monde est le propre de l’homme spirituel, pour qui le profane n’a de sens que dans la mesure où il est révélateur du sacré.
L’occidental moderne éprouve un certain malaise devant certaines formes de manifestation du sacré : il lui est difficile d’accepter que, pour certains êtres humains, le sacré puisse se manifester dans des pierres ou dans des arbres. Or, il ne s’agit pas d’une vénération de la pierre ou de l’arbre en eux-mêmes. Les arbres sacrés ne sont pas adorés en tant que tels ; ils ne le sont justement que parce qu’ils sont des hiérophanies, parce qu’ils “ montrent” quelque chose qui n’est ni pierre ni arbre. »
M. Eliade rajoute ; « C’est en raison de notre prédisposition innée, dit-il, à classer les objets du monde selon une échelle de force verticale qu’une simple pierre finit par désigner quelque chose de " tout autre " qu’elle-même. Et ce " tout autre ", c’est le lien ; c’est la quantité d’énergie " ligative " qui se dégage d’un signe à un moment donné de son histoire. » « Il subsiste, écrit Eliade, des endroits privilégiés, qualitativement différents des autres : le paysage natal, le site des premières amours, un coin d’un premier voyage. Tous ces lieux gardent, même pour l’homme le plus franchement non-religieux, une qualité exceptionnelle, « unique » : ce sont les « lieux saints » de son univers privé, comme si cet être non-religieux avait eu la révélation d’une autre réalité que celle à laquelle il participe par son existence quotidienne. »
Le scientifique Assaraf Albert a tenté de mesurer sur une échelle de force de 1 à 10 la charge émotive irradiant d’un signe ou d’un objet en terme de sacré, mettant en évidence les mécanismes d’attribution que nous lui donnons. Il pense que seuls des neurones humains peuvent être sensibles au fantastique amplificateur émotionnel que représente l’idée de Dieu, sans remettre en question ni valider la notion de dieu lui même bien sûr. Il reste un scientifique !
Il nous dit ceci : Pour l’homme, tout signe ou objet, dit-il, se référant à une entité matérielle de chair et de sang, soumise au dépérissement et à la mort, se verra attribuer au maximum une force 7. Au-delà de la force 7 et jusqu’à 10, on entre dans une sphère mentale des « causes premières » : esprits, dieux...
Il explique ensuite, le pouvoir rayonnant de cette échelle de force sur les sociétés humaines en disant que quiconque ose s’en prendre dans un groupe à haute teneur en signes de force 8 à 10 déclenche invariablement sentiments d’horreur et réprobation.
Nous pressentons bien là le substrat des guerres de religions anciennes ou contemporaines, où le sacré religieux figé dans des icônes ou des doctrines est si violemment remis en question. Aujourd’hui, le "djiadïste" tient au sacré du nom de son dieu et l’occidental tient au sacré de sa liberté d’expression.
De nos jours, dans nos sociétés contemporaines, le sacré prend un sens non religieux, afin de valoriser des principes devenus essentiels, tels le respect de la propriété, les droits de l’homme, la liberté d’expression, la science etc. L’homme moderne est persuadé que grâce à ses inventions technologiques, il est devenu " adulte ", qu’il est sorti de l’âge de la magie, du religieux, que la société qu’il a forgée est sécularisée. Cette conviction reste toujours une croyance.
Nos contemporains pensent que l’homme n’a plus rien à faire avec le sacré transcendant et religieux. Il est évident que l’homme contemporain se doit surtout et urgemment de se rattacher et bien vite aux notions de respect à son plus haut degré d’intensité.
Je parle du respect envers la nature qu’il sacralisa pendant des siècles et ensuite désacralisa par l’invention d’outils de plus en plus sophistiqués lui permettant de réduire la contrainte de cette nature et de lui assurer un plus grand confort de vie.
Pour l’homme d’aujourd’hui, la recherche de l’efficacité maximale en toutes choses est ce qu’il y a de plus sacré. En même temps qu’il désacralisa la nature, l’humain a sacralisé à sa place, les processus lui ayant permis de la désacraliser.
C’est là son paradoxe.
Et nous revoilà, Nous, hommes contemporains assis dans le sable, scrutant le ciel à présent étoilé comme l’ont fait nos anciens. Nous avons éteint nos smartphones et écrans plats car les chercheurs spirituels que nous sommes savons les neutraliser pour ces moments sacrés que sont à nos yeux la méditation, la quête spirituelle, la réflexion, la pratique. Nous sommes, chez les hommes modernes, les plus nobles d’entre-eux, car nous savons relier le monde ancien et le nouveau en reliant les savoirs avec discernement. La question de l’absolu et la compréhension des grandes vérités millénaires qui nous ont menés jusqu’ici est toujours, malgré nos connaissances scientifiques une nécessité. Nous aspirons plus que jamais à la transcendance.
Dans ma conférence « Absolu et conscience », je vous rappelle que tout aspirant en yoga est confronté à la notion d’Absolu et celle de l’individualité.
Les sages parlent d’un absolu inqualifiable qui gouverne malgré nous nos lois universelles et auxquelles nous sommes assujettis. Ce sont celles du temps et de l’espace. Notre mental humain, défini par ces deux constantes, n’a qu’une compréhension limitée de ces concepts.
La philosophie yoguique a toujours déclaré qu’il existe un état "hors du temps", où il n’y a ni mort, ni naissance, ni croissance, ni douleur, ni jour, ni nuit.
Les yogis affirment qu’un tel état peut-être atteint en méditant sur le " Soi intérieur " ou en réalisant dans son être, la déclaration suivante ;
" Je suis Partout et en Tout, Je suis le soleil et les étoiles, Je suis le Temps et l’Espace, je suis Cela qui Est ".
La matière et l’esprit sont comme l’avers et le revers d’une médaille et donnent à l’homme cette sensation de finitude. Cependant, ces deux aspects sont la manifestation active de la conscience pure lorsque celle-ci s’exprime en terme d’énergie. Manifestée ainsi, elle devient la Shakti.
L’Univers est cette Shakti manifestée de l’Absolu.
Cependant, l’homme est sujet à un phénomène qui est celui de l’illusion, la Maya-Shakti, la puissance d’illusion. Cette dernière dépend du degré d’évolution et de conscience de l’individu.
L’homme est la plupart du temps dans la divergence et le différencié.
Pour le Védanta, la connaissance de l’homme est de deux sortes ;
*Jnana swaroopa, l’expérience parfaite de la Conscience,
*Jnana Vritti , l’expérience imparfaite et ordinaire du monde.
L’Univers est donc cette Shakti manifestée de l’Absolu. Savoir l’identifier et communiquer avec elle nécessite d’avoir confiance en elle, d’avoir confiance en cet absolu.
11 ° Loi : La loi de la foi : la confiance en ce qui est supérieur.
*La foi est ce qui nous relie directement à la sagesse universelle. Il ne s’agit pas de la foi aveugle dans des doctrines ou des icônes. Il s’agit de cette confiance en la conscience cosmique dont nous sommes issus, dont nous sommes le fruit. Nous avons la connaissance intrinsèque de l’absolu en nous et en savons plus que ce que nous en avons entendu, lu ou appris. Regarder, contempler, écouter, avoir confiance en l’amour et la sagesse de cet absolu qui œuvre en chacun de nous est la porte à cette transcendance.
La vérité profonde :
L’absolu œuvre en chacun de nous.
La 11 ° loi spirituelle :
La foi est ce qui nous relie directement à la conscience universelle.
-Pour les non pratiquants de yoga, le numineux donne un sentiment d’être.
-Pour les yogis, la foi en l’absolu permet d’accéder à la connaissance parfaite
de la conscience, le Jnana swaroopa et de réaliser cet absolu en soi.
C’est la réalisation du SOI.
Pour nous donc, ce soir, pas d’icône, pas de lieu de culte, juste le ciel, la chaleur du désert. La luminosité de la nuit donne aux dunes le majestueux des temples de nos visions. La perception de l’infini et du cosmos dépasse le sentiment du fini. Le lieu simple de l’ ici et maintenant devient le lieu saint par la seule perception du sacré qui nous renvoie une ouverture ressentie comme absolue.
Nous avons fait un si beau voyage !
Là-bas, derrière la plus grande dune, la civilisation vous attend...
Hari om tat sat
Jaya Yogacharya
Bibliographie :
« Le Sacré et le profane » de Mircéa Eliade aux edts Gallimard.
« Le sacré, une force quantifiable ? » d’ Albert Assaraf aux Édts Babylone.
« Absolu et conscience » conférence de Jaya Yogacharya.
adaptation et commentaire de Jaya yogacharya.