"Le souci de soi"
Conférence donnée en cours de méditation par Jaya Yogācārya le vendredi 24 fev 2017
Nous reprenons une fois de plus ce long chemin de l’ascension spirituelle. Certains d’entre vous sont en cordée depuis plus longtemps que d’autres et chacun s’accroche à ses efforts et à ses difficultés. Chacun tente la voie spirituelle pour aller vers sa propre libération. Chacun tente de devenir un être plus accompli.
Chacun travaille à la création de son être futur.
Si nous sommes dans cette démarche de la connaissance de soi, c’est effectivement pour devenir un être meilleur, un être plus vrai, plus compatissant, plus imperturbable dans l’existence. Chacun tente de devenir supérieur à lui-même.
Nous ne sommes pas ici pour devenir pire !
Mais les embûches sur une voie spirituelle sont nombreuses et nous ne sommes pas à l’abri de cette éventualité.
La vie elle-même ne nous promet pas forcément l’amélioration en termes de santé physique et mentale. Vieillir intelligemment, en bonne santé et avec succès n’est pas le lot de tous.
Qu’est-ce que le chemin de la connaissance de Soi ?
C’est une étude sérieuse de soi-même. C’est tenter d’accéder à des niveaux de conscience ordinairement inaccessibles.
Lorsqu‘un homme atteint des niveaux de conscience supérieurs en lui, et cela ne peut se faire sans ténacité et effort, il peut maîtriser les pulsions indésirables de sa nature inférieure.
Le malheur de la grande partie des humains est « cet état d’absence à eux-mêmes », que les sages appellent le "sommeil diurne". La plupart des hommes passent leur vie entière dans cet état et cela est la cause de leurs multiples souffrances.
Être un chercheur spirituel, c’est prendre conscience de la nécessité d’être "présent à soi-même".
Pour ce faire, nous devons développer les clés de la connaissance de soi que sont les fonctionnements de l’esprit, la réflexion, la méditation, les pratiques yoguiques, les processus d’attention, de concentration, de retrait des sens, l’introspection, l’écoute intérieure, la perception du son subtil, le développement des sens psychiques, la neutralisation du bavardage intérieur, la connaissance des mécanismes mentaux.
Les pratiquer permet de comprendre que nous ne percevons jamais les instants où nous sombrons dans ces états d’absence à nous-même, ni comment cela s’opère en nous.
De même, nous ne prenons jamais conscience du moment où nous glissons dans le sommeil profond et ce n’est que lorsque nous nous réveillons le matin que nous constatons que nous avons dormi.
Ce n’est que lorsque vous atteignez des états de conscience supérieurs et profonds dans la méditation que vous comprenez vos états d’inconscience habituellement récurrents.
Plus vous développerez ces états de concentration et de stabilité intérieure, plus vous comprendrez que tout ce que vous avez pensé, dit ou fait par le passé ne constituait qu’une suite de réactions à ce que vous aimiez ou non, à ce qui satisfaisait vos intérêts personnels ou non, à vos désirs nombreux de tous ordres, sexuels ou autres et qui sont éternellement changeants.
« Vous comprendrez surtout que vous n’avez pas forcément été capable de considérer les effets à long terme de vos comportements sur votre être et sur celui des autres », nous dit J.Krishnamurti.
Être présent à soi-même, c’est ce que les bouddhistes appellent « le souvenir de soi » et qu’il est utile d’entretenir en permanence.
Dans cet état de présence à soi-même, il n’est plus possible d’aborder la vie ordinaire et manifestée de la même façon qu’on l’aborde dans l’état habituel "d’oubli de soi".
Devenir « présent à soi-même", est le début de « l’éveil intérieur ».
De plus en plus de nos jours, beaucoup de gens cherchent à comprendre la spiritualité.
Ils écoutent de nombreux entretiens, conférences, consomment beaucoup d’informations spirituelles diverses, mais souvent les abordent finalement comme une simple discussion sans grande importance.
Ils écoutent des propos sérieux avec une grande décontraction.
Il n’est pas rare de les voir s’allonger, somnoler ou rêvasser pendant qu’un guide leur parle. Un tel comportement répond à cette impression de faire semblant d’être lâché, décontracté, ayant déjà capté l’essentiel, alors que cette suffisance n’est que la démonstration de la grande ignorance qui les anime.
Ce ne sont pas les « spiritueux » qui sauveront l’humanité de sa vanité.
La plupart des gens sont peu capables de réfléchir aux choses profondes de la vie et à les examiner en profondeur.
Nous avons tendance à accepter ou à nier très facilement, et là encore, tout en ayant l’air de donner de la résistance intellectuelle et égotique de surface.
Beaucoup mettent en avant des « discours paravents », des idées "grand public", des clichés « gentico-spiritualistes » pour masquer le vide sidéral de leur propre réflexion.
Il est important dans l’écoute de faire l’expérience directe de ce que nous écoutons.
Nous sommes conscients de beaucoup de choses, n’est-ce pas !
Vous êtes conscient du fait que je suis en train de vous parler et que vous m’écoutez.
Mais si vous êtes vigilant, vous êtes aussi conscient de la façon dont vous m’écoutez. Si vous en êtes conscient de la manière dont vous m’écoutez, vous saurez de quelle façon vous êtes habituellement conditionné et comment vous interprétez ce qui est dit en fonction de vos conditionnements, de vos préjugés et de vos connaissances.
Quand vous interprétez, vous n’écoutez pas.
A l’instant où vous écoutez réellement et où vous n’interprétez pas les propos en fonction de vos conditionnements, alors vous commencez à comprendre par vous-même ce qui est vrai et ce qui est faux. Le vrai et le faux ne relèvent pas du préconçu ni de l’avis.
Si vous êtes toujours préoccupé par l’interprétation, votre vision et votre perception seront souvent obscurcies.
Ainsi, si on veut vous faire adhérer à une doctrine, vous y adhèrerez ou vous la condamnerez avant même d’y avoir réfléchi. Vous serez alors dans le processus habituel de la réaction et non de la conscience.
L’homme réalise rarement que lorsqu’il s’adresse ou répond à un interlocuteur, il se trouve en train de réagir. Tout ce qui se déroule en nous se fait par réaction. Inconsciemment, nous réagissons passivement et sans cesse à tous les stimuli qui nous viennent de l’extérieur comme de l’intérieur.
Il est important d’être vigilant et de nous méfier de l’aspect inférieur de notre propre nature, qui, dans des moments de fatigue, de faiblesse, d’inattention, peut nous inciter à des réactions peu souhaitables qui risquent de gâcher le bénéfice du travail de perfectionnement obtenu par la pratique spirituelle. Cela n’a rien à voir avec la morale et les notions de bien ou de mal.
La vie mondaine et ordinaire corrompt souvent la pensée pénétrante et subtile.
Un pratiquant devrait parvenir à être conscient et se voir en train de réagir. Ce serait là, le début d’une libération intérieure. Bien sûr, le processus de la manifestation repose sur le principe de la réaction.
C’est là que se pose le problème de la différence entre agir et réagir.
A quel degré agissons-nous vraiment dans notre vie ?
En chacun de nous, il y a un mécanisme inhérent à vouloir répéter ce que nous avons déjà expérimenté à une période donnée. Ces répétitions finissent par se transformer en habitudes, bonnes ou mauvaises. Elles peuvent s’avérer préjudiciables et prennent de plus en plus racines dans l’être en constituant un aspect de sa personnalité.
Le danger de ce processus est de façonner à notre insu une manière de penser, au point qu’il sera difficile de la remettre en question.
L’inconscience commence à s’installer et avec elle, les effets de nos comportements sur nos relations.
Pour un chercheur spirituel sérieux, l’étude de soi doit chasser les pensées répétitives, les bavardages intérieurs qui sont une réelle entrave pour découvrir en nous une autre forme d’existence, une autre forme de pensée permettant d’appréhender la réalité.
Pour un débutant, la tentative de faire taire les bavardages du mental, fait qu’il va se sentir perdu sans ses préoccupations intérieures. Sa vie va lui sembler vide sans cette activité incessante en lui. Dans l’état quotidien d’absence à lui-même, vivant dans cet état pseudo-ignorant, il est poussé à se perdre dans des activités fébriles intérieurement et extérieurement qui lui assurent le sentiment d’exister. Lâcher quoi que ce soit lui paraîtra redoutable, car il ne pourra reconnaître en lui la nouvelle personne.
« Tant qu’un homme ne connait pas son centre de gravité vers lequel se tourner pour donner un sens à sa vie et pour stopper les manifestations désordonnées de son mental, il restera inévitablement faible, » dit le théosophe hindou.
Il nous dit aussi ceci :
Un chercheur spirituel est quelqu’un qui cherche l’illimité, la transcendance.
La question sera donc de savoir ;
Comment permettre à l’esprit d’appréhender la réalité telle qu’elle est dans ce qu’elle a d’illimité, de cosmique, d’existentiel ?
La réponse du penseur :
Nous connaître nous-même ! Tant que nous ne connaissons pas le contenu de notre esprit, l’inconscient comme le conscient, ainsi que ses modes de fonctionnements complexes, nous ne pouvons avancer dans la quête de la transcendance et de l’éveil.
Comment me connaître alors comme un tout, avec tout ce qui me caractérise, mes justifications, mes désirs, mes peurs, mes instincts ?
Il y a les livres de psychologie, les psychologues, il y a les guides spirituels, il y a les enseignements philosophiques, mais intellectuellement, verbalement, tel que nous devons vivre notre esprit à chaque instant, cela nécessite de s’observer soi-même dans le miroir de la relation, de nous à nous-même et de nous à l’autre.
Nous devons connaître tout ce qui se passe dans notre esprit, être conscient de l’intégralité de son contenu, l’examiner sans nier, ni supprimer ou n’écarter quoi que ce soit que nous y trouverions.
Alors l’esprit qui sait se regarder peut devenir clair et simple, calme.
De la même manière que l’homme primordial a dû affuter le silex pour sa propre libération et élévation, l’homme contemporain doit faire cet affutage incessant pour rendre son esprit silencieux, immobile et bon.
Les efforts en méditation, les entretiens, les réflexions sont déjà très importants en soi, mais pour le chercheur spirituel, son travail nécessite une maturation lente, une recherche qui va en s’approfondissant, une vision plus vaste, un abandon des croyances et des théories inutiles.
Un esprit véritablement spirituel est celui qui sera capable de découvrir ce qu’est la vérité de l’existence.
Ceux qui sont sérieux, ceux qui se préoccupent du bien-être de l’humanité, doivent mener une investigation très profonde en eux-mêmes et se rendre libres de toute croyance ou tout dogme.
Pour faire l’expérience de quelque chose qui dépasse l’esprit, il faut savoir renoncer à toute sécurité de pensée, voire toute sécurité tout court. Bien sûr, je ne vous invite pas à tout envoyer valser. Je vous invite à travailler à la peur de l’insécurité.
Votre esprit pourra alors faire l’expérience de quelque chose qui se situe au-delà de lui-même.
C’est le propre du yogi. Mener la pensée jusqu’à son terme, mener les expériences jusqu’à leurs termes.
C’est là, la teneur de la méditation.
Tant que nous ne savons pas par nous-même ce qu’est la méditation, la vie a peu de profondeur et est dépourvue du subtil de l’existence.
La méditation est fabuleuse mais nécessite beaucoup de lucidité et une grande perspicacité.
Lorsqu’on comprend la limitation de son esprit, alors on peut comprendre son conditionnement.
Hélas, l’intégralité de notre esprit est conditionnée. Nous sommes tous conditionnés - par la tradition, par la famille, par l’expérience, par la dimension sociale, par le processus du temps.
Si vous croyez en Dieu, cette croyance est le fruit d’un conditionnement particulier.
Vous dites ne pas y croire, cela revient au-même. C’est encore un conditionnement.
La croyance ou la non-croyance n’ont finalement que peu d’importance. Ce qui importe, c’est de comprendre le champ de la pensée dans son ensemble et de voir si l’esprit peut aller au-delà.
C’est cela la transcendance.
Pour aller au-delà, il faut connaître la totalité de vous-même. Vos objectifs, vos besoins viscéraux, vos réactions, vos rêves, vos inhibitions, vos obsessions cachées ou inconscientes, vous devez tout connaître en vous.
Alors là, oui, vous pourrez voir si votre esprit peut découvrir quelque chose de totalement nouveau, quelque chose qui n’a jamais été corrompu par le temps ou par l’usure de la vie.
Découvrir ce qu’est la vraie spiritualité requiert non une journée d’effort ou de recherche pour tout oublier le lendemain, mais de se questionner sans cesse, de mener une
investigation dérangeante afin de savoir remettre tout en question.
Rechercher par exemple "la pensée positive", revient à ne pas penser du tout et faire du copiage. Ce n’est pas mener une investigation profonde et lucide mais faire une anesthésie de l’esprit en copiant un mode de pensée sur la réalité.
Or, le vrai chercheur spirituel doit apprendre à voir la réalité telle qu’elle est et non telle qu’il voudrait qu’elle soit.
Ces pratiques de pensée spirituelle, « la pleine conscience », « la pensée positive », sont des démarches de masse pour calmer le jeu du mental ordinaire.
Un chercheur doit aller au-delà de ces modes de pensée.
Évitons donc de tendre vers les pensées collectives qui nous conditionnent à notre insu.
Nous subissons déjà tant l’influence des diverses autorités politiques, idéologiques, religieuses, culturelles, industrielles. Rester libre dans votre pensée.
La méditation est une chose extraordinaire qui nécessite beaucoup de lucidité, une grande perspicacité nous dit Krishnamurti.
Avant même de vous asseoir pour votre pratique méditative, la méditation commence à tout moment. Savoir s’asseoir dans sa chambre en silence, dans la nature en état contemplatif, permet déjà d’éprouver ce sentiment d’immensité et de dépassement.
Devenir un penseur silencieux à tout moment de la vie prépare aux expériences profondes de la méditation.
Hari om tat sat
Jaya Yogācārya
Bibliographie :
« Découvrir l’illimité » de J ; Krishnamurti aux edts Synchronique
« les obstacles à l’illumination et à la libération » de Salim Michaël aux edts Trédaniel
Adaptation et commentaire de Jaya Yogācārya