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« Vêtu du ciel »

Śiva 3e partie

Le chemin spirituel yoguique que nous suivons depuis de longues années est celui qui doit nous apprendre à passer patiemment de la dualité à la non-dualité.
Cette non-dualité nécessite d’atteindre un abandon total, un complet détachement, indissocié de la compréhension définitive de notre réelle identité.
L’illumination spirituelle permet cela, mais la plupart du temps, les résistances chez l’être humain, (inerties, handicaps physiques ou émotionnels, justifications intellectuelles ou psychologiques, croyances, ignorances) sont si nombreuses et puissantes, qu’elles l’en empêchent.

Pourtant, les sages, les mystiques ont toujours affirmé ; notre véritable nature est à l’image de l’absolu supraconscient et infini­. Cet absolu pouvant être l’univers lui-même.

Pour la majorité des individus, leur nature profonde est occultée par leur nature humaine manifestée.
Nous restons pris au piège d’une illusion du réel, par la limitation de nos outils pour le percevoir et le comprendre, par notre manifestation physique enchâssée dans l’engrenage causal et « entropique » du temps.
Nous nous battons avec nous-même dans ce paradoxe. Le chemin de vie est un combat permanent entre nos fatigues, nos peines et notre aspiration à nous élever pour devenir lumineux et éternels, pour ceux qui sont en quête, et pour un plus grand nombre, pour être simplement heureux.

La subjectivité de notre histoire personnelle pourtant incluse dans cet absolu universel objectif, nous illusionne en permanence.
Ce manque de clarté sur ce que nous sommes véritablement et pourquoi nous sommes là fait de nous des chercheurs de solutions pour percer ce "plafond de verre métaphysique".

Si différentes stratégies humaines ont approché ce paradoxe, telles les grandes religions, les philosophies spiritualistes, elles ont toujours dans leur ensemble, migré vers une conception attribuant à l‘absolu une nature divine voire une divinité.

Pour le yoga, la divinité transcende toute dualité.

Dans le Vedanta, le « Je personnel » et dual - car se sentant séparé - doit identifier les illusions de cette séparation et œuvrer à sa propre dissolution par l’unicité avec le Brahman ब्रह्मन्, non dual.
Le concept de Brahman­ est cet absolu inqualifiable, immuable, non manifesté et supraconscient.

Dans le tantrisme, la divinité transcende elle aussi la dualité mais elle y est conçue comme ayant deux aspects inséparables, conscience-énergie, masculin-féminin, dont l’union marque le point de départ du cosmos (le bindu बिंदु) mais aussi son retour au point d’origine.
Il y a là une analogie à la théorie du big-bang et aux notions de cycles cosmiques.
L’aspect féminin, la Śakti, y est actif et se déploie en un univers infini par le seul jeu de la manifestation.
C’est elle qui enchaîne l’homme au monde manifesté et c’est par elle qu’il peut s’en libérer et retourner à la source, puisqu‘elle est indissociée de son autre aspect, l’inerte supraconscient­.
Déploiement et repliement, évolution et involution, individuation et désindividuation sont ces pulsations cosmiques qui animent la nature du principe divin Śiva-Śakti शिव शक्ति, conscience-énergie.
Autrement dit, le microcosme et le macrocosme étant reliés par un jeu infini de corrélations, le Sādhaka साधक peut s’immerger dans ce processus pour arriver au salut par la fusion avec la divinité.
C’est le retour au bindu originel, point de transcendance.
Chaque bindu de l’espace-temps étant lui-même point de transcendance, il permet au yogi l’accès à la divinité, c’est à dire au réel, à la révélation de ce qui est par l’activation de sa propre supraconscience.

La Līlā लीला, concept au sein de l’hindouisme qui signifie littéralement "passe-temps", "sport" ou "jeu" est commun à la fois aux écoles philosophiques non dualistes et dualistes.
Dans le non-dualisme, la Līlā est une façon de décrire toute réalité, y compris le cosmos, comme le résultat du jeu créatif de l’absolu divin Brahman ब्रह्मन्.
C’est le jeu de la divinité qui se cache derrière les apparences du monde phénoménal, la Māyā माया.
Dans les écoles dualistes du Vaishnavisme, la Līlā se réfère plus simplement aux activités de Dieu Viṣṇu विष्णु et de ses dévots.

Pour le tantrisme, la création, œuvre de cette énergie féminine, se déploie par ce vaste jeu cosmique. La Śakti, qui soutient et anime l’univers, le résorbe à la fin de chaque cycle. Dans ce jeu cosmique, le monde est l’apparence du divin qui reste inaffecté par ce qu’il émet tout en le contenant en lui.

Si le yogi cherche la délivrance par les pratiques et les rites, il lui faut surtout recevoir la « grâce » Kṛpa कृप, obtenue par la vision divine, darśana दर्शन, obtenue elle-même par la descente de l’énergie sur lui, le Śaktipāta शक्तिपात.
Mais surtout, l’ascèse reste avant tout dans le tantrisme, la participation au jeu cosmique, la Līlā, d’où le fait qu’elle soit expérimentale, audacieuse, ludique, dans l’art, pour le pratiquant, de "faire feu de tout bois" dans cette manifestation du monde où il se trouve.

Sortons à présent de l’approche métaphysique et revenons à l’approche plus symbolique par la cosmogonie, apte, par l’illustration des mythes, à montrer les facultés d’omnipotence et d’omniscience des divinités dans la manifestation.

Revenons à Śiva et aux 25 Līlā लीला ou « Jeux de la divinité » dont je vous ai parlé la dernière fois.

L’origine du personnage, comme nous l’avons déjà vu voir conf "Proto-Śiva" prend sa source dans la civilisation de l’Indus.­ Il devient ensuite Rudra रुद्र, « le terrible », « le hurleur », une divinité mineure de l’époque védique qui fréquente plutôt les lieux isolés et de crémation. Présent dans le Brahmanisme, il deviendra ensuite une divinité majeure de l’hindouisme classique tout en étant une divinité de contrastes pour ne pas dire contradictoire.

D’une part, il est célébré pour sa chasteté et son ascèse, étant le yogi parfait, maître de ses sens. Il est le modèle des sādhuसाधु sivaïtes de l’Inde.
Mais paradoxalement, Śiva va apparaître aussi comme l’amant parfait qui séduit les épouses des ermites dans la forêt afin de mettre à l’épreuve leur foi envers lui. De même, en tant qu’amant suprême, l’univers tout entier est secoué lorsqu’il s’unit à sa parèdre.
Sa représentation par le liṅgaṃ लिङ्गं, à première vue, pourrait corroborer cette opposition entre l’ascète et le parfait amant. Mais le liṅgaṃ ne peut être réduit à la forme phallique et illustre le principe infinie de sa nature.
Cependant, il n’y a pas si grande contradiction.
En étant un yogi accompli, il possède au plus haut niveau qui soit, les techniques pour développer et affirmer sa puissance sexuelle.
Śiva est enfin, en tant qu’époux de Pārvatī पार्वती et père de ses fils Gaṇeśa गणेश et Skanda स्कन्, également appelé Kārtikeya कार्त्तिकेय, le parfait chef de famille.

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Faisons une parenthèse sur les sādhu.
Le sādhu साधु, « saint homme, ayant atteint son but » est celui qui a rompu tout lien familial et social, se consacrant à la libération de l’illusion, Māyā माया.
Cette libération, Mokṣa मोक्ष, permet l’arrêt du cycle des renaissances et la dissolution par la fusion avec la conscience divine.
Les sādhu sont des renonçants. Ne possédant rien, ils sont vêtus d’un longhi d’une tunique couleur safran pour les shivaïtes, jaune ou blanche pour les vishnouïtes, symbolisant leur sainteté.
N’ayant pas d’attaches, ils se déplacent toute une vie sur les routes, se nourrissant de dons. Tapas तपस्, mantras मन्त्र, rituels, prāṇāyāma प्राणायाम, yoga योग, brahmacarya ब्रह्मचर्य, dhyāna ध्यान, méditation, parfois mauna मौन (vœu de silence) ou mortifications, sont les pratiques les menant à l’absolu.
Dans cette voie choisie pour raisons spirituelles ou pour fuir leurs positions sociales, se trouvent certaines femmes en nombre infime, les sādhvī साध्वी. Aujourd’hui, les sādhu constitueraient 0,5 % de la population indienne. Cela fait beaucoup de monde dont nous pouvons constater l’ampleur lors de la Kumbha Mela, « la fête de la jarre sacrée  ».
Un grand nombre de sādhu fument rituellement du cannabis censé ôter le voile de la Māyā, mais certains refusent cela par idéal. Les shivaïtes frottent leur corps avec de la cendre, symbole de mort et de renaissance et leurs cheveux sont extrêmement longs. L’appartenance des sādhu à Śiva ou à Viṣṇu se reconnait par les marques traditionnelles qu’ils peignent sur leur front.
Pour les Shivaïtes, trois barres horizontales de Vibhūti विभूति, (cendre de bois spéciaux, voire de bouse de vache, voire dans les temps anciens, de cendre de corps humains calcinés), marquent leur front alors que pour les Vishnouïtes, c’est un grand U vertical pouvant s’apparenter au V de Viṣṇu.
Il leur arrive de s’affronter lors des Kumbha Mela pour des problèmes de préséance, chacun prétendant entrer le premier dans l’eau sainte.

Une de sectes Shivaïtes les plus importantes et les plus anciennes de sādhu est celle des « Naga baba », Nāga नाग signifiant "serpent" mais aussi "précieux", "modèle", "exemple", etc.
Considérés comme les plus hauts dignitaires de la connaissance de Brahman, du fait de leur ascèse extrême, ils sont les premiers yogis à pouvoir entrer rituellement dans le fleuve sacré lors des Khumba Mela.
Organisés en akhara अखाड़ा (régiments), car anciennement guerriers contre les envahisseurs islamistes et ensuite britanniques, ils peuvent arborer des armes, symboliques ou non, comme des épées, des bâtons, des lances et surtout le triśūla त्रिशूल (trident), un attribut de Śiva.
Pour les brahmanes, tolérer la violence est une forme de violence, et le statut de kṣatriya क्षत्रिय, ou d’ascète-guerrier n’est donc pas vu comme contraire à ahiṃsā अहिंसा, la non violence.

La non possession absolue et la maîtrise complète de leur corps grâce au yoga les dispensent souvent de tout vêtement à l’image d’un nom de Śiva, Digambara दिगम्बर, celui qui est« Vêtu de Ciel ». Spécialistes de la mortification, parfois de leurs organes sexuels dont ils font des démonstrations spectaculaires, ils ont pour but de se désexualiser et prouver leur dévotion envers Śiva. Total détachement, disparition des Vṛtti वृत्ति du mental, ils éradiquent tous les obstacles permettant l’union avec la Divinité.

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Revenons à Śiva et à ses 25 Līlā.
Les voici dans l’ordre traditionnellement énuméré mais toutefois flexible du fait que nous pouvons en trouver 28 voire plus.

1 Candrādhāraचन्द्र आधार, Śiva portant la lune sur sa tête.
2 Umāsahita उमासहित, Śiva avec Umā उमा Devi au moment de la création du monde.
3 Vṛṣārūḍha वृषारूढ, Śiva montant sur un taureau. Le taureau Nandi représentant le dharma.
4 Nrtyakopama ou Naṭarāja नटराज, Śiva, roi des danseurs.
5 Vivāham विवाह, Śiva épousant Pārvatī (Umā).
6 Bhikṣāṭana­ भिक्षाटन, Śiva le mendiant.
7 Kāmāri कामारि, Śiva tuant le dieu de l’amour kama.
8 Kālāri कालारि, Śiva victorieux sur Yama, le dieu de la mort.
9 Tripurāri त्रिपुरारि, Śiva détruisant par le feu les tripuras (asuras).
10 Jalandharavadha जालन्धर वध, Śiva tuant le démon Jalandarasura (asuras).
11 Hari Dhvaṃsin हरि ध्वंसिन् Śiva destructeur de l’orgueil de Viṣṇu, (dhvaṃsin = détruire).
12 Vīrabhadra वीरभद्र, Śiva s’incarnant en Vīrabhadra pour détruire les sacrifices et molester les dieux.
(cité entre autres dans le Viṣṇu Purāṇa पुराण. Dakṣa दक्ष avait célébré un grand sacrifice de feu, un Yajña यज्ञ, mais non pour Śiva, son gendre. Souffrant d’être séparée de Śiva, Satī सती, s’appliqua alors à renfermer en elle-même le feu du souffle vital, à méditer sur son amant divin Śiva et son corps, purifié de tout péché, parut tout d’un coup embrasé par le feu de la Contemplation. Devenant colérique d’être séparé de son aimée Satī, Śiva créa Vīrabhadra वीरभद्र, qui détruisit le sacrifice et sermonna les dieux.)
13 Harihara हरिहर, Śiva s’incarnant en mi-Śiva /mi-Viṣṇu
(HariHara est la caractérisation Sāttvika सात्त्विक fusionnée de Viṣṇu (Hari) et Śiva (Hara) de la théologie hindoue. Harihara est également connu sous le nom de Śaṅkara Nārāyaṇa शङ्कर नारायण (Śaṅkara est Śiva et Nārāyaṇa est Viṣṇu). Harihara est aussi parfois utilisé comme terme philosophique pour désigner l’unité de Viṣṇu et Śiva comme différents aspects de la même réalité ultime appelée Brahman. Ce concept d’équivalence de divers dieux comme un principe "d’unité de toute existence" est discuté comme Harihara dans les textes de l’école Advaita Vedānta अद्वैत वेदान्त de philosophie hindoue.)
14 Ardhanārīśvaraअर्धनारीश्वर, Śiva devenant l’hermaphrodite.
15 Kirāta किरात, Śiva se transformant en chasseur.
16 Brahmā Śiraśchedana ब्रह्माशिरश्छेदन, Śiva coupant la cinquième tête de Brahmā ब्रह्मा.
17 Caṇḍeśānugraha चण्डेशानुग्रह, Śiva graciant Gaṇeśaगणेश.
18 Viṣāpaharaṇa विषापहरण, Śiva buvant le poison Hālāhala हालाहल issu du Kṣīrasamudra क्षीरसमुद्र, l’océan de lait.
19 Cakradāna चक्र दान, Śiva faisant don du disque, le cakra à Viṣṇu.
20 Sukhāvaha सुखावह, Śiva détruisant les obstacles et faisant du bien au monde.
21 Somāskanda सोमास्कन्द, Śiva avec Ūma ऊम et son fils Skanda स्कन्द après la mise à mort des démons.
22 EkaPādada एक पादद, Śiva se tenant debout sur une jambe et Brahma et Viṣṇu émanant de son côté droit et gauche respectif.
23 Ajārī अजारी, Śiva ennemi du dieu Brahmā ब्रह्मा qui a aimé sa propre fille.
24 Dakṣiṇāmūrti­दक्षिणामूर्ति, Śiva prenant la forme dirigée vers le sud. (Plusieurs histoires racontent ce jeu).
25 Liṅgodbhavamūrti लिङ्गोद्भवमूर्ति, Śiva prenant la forme du liṅgaṃ लिङ्गं et imposant sa suprématie et sa dimension métaphysique.

N’oubliez pas que nous pouvons trouver 28 Līlā voire plus selon les textes et que leur classification peut malgré tout varier selon les commentateurs, telle par exemple, une classification de 25 Līlā selon les cinq têtes du Pañcavaktra पञ्चवक्त्र, par série de cinq.

Nous allons finir par l’historiette par l’un de ces jeux, celle où Śiva Kirāta ou Kirātamūrti est le chasseur. C’est la seule forme de Śiva de Seigneur dans laquelle Il apparait de couleur noire.
Arjuna, le noble archer des cinq pāṇḍavaḥ पाण्‍डव voulait obtenir l’arme incomparable Pāśupatāstra पाशुपतास्त्र de Śiva pour la bataille du Mahābhārata महाभारत. Il partit dans la forêt et fit des austérités pour obtenir la bénédiction du dieu. Ce dernier, satisfait de sa prière, accepta de lui donner le Pāśupatāstra, mais voulut jouer un peu avec Arjuna aupréalable.
Il prit la forme d’un chasseur puis alla avec sa Śākti, l’énergie de la chasse elle-même dans la forêt. Il envoya un démon sous la forme d’un sanglier pour charger Arjuna. Arjuna tira une flèche de l’avant, en même temps que le Chasseur, Śiva lui-même, attaqua par l’arrière l’animal pour le tuer, testant ainsi la bravoure du célèbre archer tout en voulant montrer sa supériorité. Le Pāśupatāstra पाशुपतास््र, l’arme de Paśupati पशुपति, autre nom de Śiva, est un missile céleste, affilié à cette divinité mais aussi parfois à Kālī काली et Ādi para śaktiआदिशक्ति. Cette arme nucléaire peut être activée et se décharger sur sa cible par l’esprit, le regard, la parole ou bien un arc.

Morale de l’histoire !
Faites confiance au divin !
Parfois, il vous met à l’épreuve, parfois il vous tend la main, parfois il vous fait des offrandes.
Assurément, il vous guide vers lui.
Hari Om tat sat
Jaya yogācāryaḥ

Bibliographie :
 "La Mythologie hindoue" Tome 2 par Vasundhara Filliozat aux edts Āgamāt
 "L’ hindouïsme" de G. Boccali & C Pieruccini aux edts Hazan
 Adaptation et commentaire de Jaya yogacarya
 sources Wikipédia

Remerciement à C. Pellorce pour ses corrections
©Centre Jaya de Yoga Vedanta La Réunion & Métropole

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