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"L’oiseau de Feu"

Conférence donnée par Jaya Yogācārya en cours de méditation du vendredi 22 nov 2019

Depuis plusieurs conférences, nous travaillons à la compréhension des mécanismes complexes qui permettent l’éveil de la Kuṇḍalinī कुण्डलिनी.
Cette énergie potentielle et endormie à la base de la colonne vertébrale peut être appréhendée différemment par les yogis.
Certains vont utiliser les techniques du Haṭhayoga हठयोग avec l’effort soutenu, la volonté inébranlable, le travail postural, le contrôle du souffle par le Prāṇāyama प्राणायम, ainsi que le contrôle séminal, les techniques dites « du bâton », et toute l’approche de la dimension physique et énergétique.

D’autres pratiques vont être davantage intérieures. Elles solliciteront cependant les énergies spirituelles très puissantes de la parole, du souffle, de la pensée, des processus vibratoires, du Praṇava प्रणव (Oṃ ओं), du Nāda नाद (le son), des phonèmes sanskrits, et finalement de tout ce qui peut relever des expressions variées de la manifestation issues de la puissance cosmique.

Ainsi donc, pour faire monter la Kuṇḍalinī, il est nécessaire de pénétrer dans la voie médiane, qu’est Suṣumṇā nāḍi सुषुम्णा नाडि.

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Les yogis peuvent faire cela par différents moyens, mais le processus général revient à :
 commencer par la destruction des pensées dualistes,
 faire l’interruption des souffles inspirés et expirés (Kumbhaka कुम्भक),
 accéder aux extrémités initiales et finales des nāḍi नाडि,
 rétracter l’énergie dans le Soi (l’absolu),
ce qui permettra la fusion finale avec l’univers.

La destruction de la pensée dualiste semble être la condition essentielle de départ à tout travail d’éveil.
On l’appelle Vikalpa Kṣaya विकल्प क्षय.
Vikalpa विकल्प est la connaissance indirecte reposant sur les mots, la parole, la conceptualisation ou l’imagination et qui ne se base pas sur l’expérimentation directe.
Dans les Yoga Sūtra de Patañjali, vikalpa est l’une des cinq Vṛtti वृत्ति, les modifications du mental.
Les quatre autres étant :
 Pramāṇa प्रमाण, la connaissance directe expérimentée par l’intellect et les sens mais sujette à illusion,
 Viparyaya विपर्यय, la connaissance erronée ou incompréhension,
 Nidrā निद्रा, le sommeil,
 Smṛti स्मृति, la mémoire.

Pour revenir au Vikalpa Kṣaya, le yogi doit donc se concentrer sur le cœur et ne pas permettre à vikalpa, l’imagination, de se présenter.
En réduisant ainsi l’esprit à la condition d’Avikalpa (absence de dualité) et en tenant le Soi (l’absolu) comme l’unique et réelle expérience, il développe la conscience de la réalité centrale de son être entier, dans tous les plans, y compris celui de la voie médiane (Suṣumṇā nāḍi).
Le yogi méditant rentre alors dans l’état de Turya तुर्य, le quatrième état, mettant fin à la dualité.
On atteint là les hauts pouvoirs de la volonté méditative et des processus de résorption, (Laya yoga लय योग).

Une autre stratégie est l’utilisation des souffles pour forcer la voie médiane.
Elle va se faire par le travail du Prāṇa प्राण.

Au-delà de sa signification habituelle en termes de souffle et d’énergie vitale, le mot Prāṇa ou Prāṇa Śakti प्राण शक्ति représente avant tout l’énergie consciente universelle, présente aussi bien dans l’univers que dans le corps humain.
De spatialisé et illimité, le Prāṇa devient limité lorsqu’il est assujetti aux souffles inspirés et expirés humains. Par la carnation de l’être humain, le Prāṇa devient aussi inconscient et limité que les fonctions qui dépendent de lui Sthūlaśārira स्थूलशारिर (le corps), les Tanmātra तन्मात्र (les cinq sens), Manas मनस् (le mental), Buddhi बुद्धि (l’intellect).
Toutefois, malgré cette limitation, sa nature est universelle et cosmique.

Autrement dit, l’énergie du souffle est conscience.
Seule l’expérience transcendantale de l’énergie en lui donne à l’homme accès à une conscience supérieure et subtile.

Le travail du pratiquant va donc être de re-libérer le Prāṇa pour le rendre subtil, non assujetti à la dualité de l’intellectuel ou des souffles.
Puisqu’il participe à tous les outils de la vie humaine, intellectuels, physiques, sensoriels, le maitriser permet de maitriser l’ensemble de ces outils.

Le travail du Prāṇāyama प्राणायम est un travail ardu et subtil.
Il peut être intense quand il s’agit de ramener Iḍā इडा et Piṅgalā पिङ्गला avec force vers la Suṣumṇā.

Il peut se faire aussi par une approche plus méditative.

Le mouvement naturel du Prāṇa dans la respiration humaine s’achève à l’extérieur à douze largeurs de doigts du nez pour l’expiration et à l’intérieur à douze largeurs de doigts pour l’inspiration en partant du cœur. Nous avons déjà approché en méditation la prise de conscience de ces deux points de repos, qu’on appellent les Dvādaśānta.
On s’en sert comme des Adhara अधर, des supports physiques et énergétiques pour calmer le mental et y expérimenter l’énergie.

Pour revenir à l’approche très intérieure des souffles, des techniques de Kumbhaka कुम्भक, à savoir des rétentions avec concentrations sur les souffles à leur point de repos et leur point d’origine simultanément permettent de les intérioriser, de les charger et de les ramener vers Suṣumṇā. Les souffles n’étant plus dans le jeu de l’inspir et de l’expir sous les contraintes d’Iḍā et de Piṅgalā Nāḍi नाडि, ils vont fusionner vers la voie du milieu où ils vont se stabiliser en un seul point, se neutraliser et fusionner.
D’autres approches plus puissantes des Kumbhaka tel le Prāṇāpāna प्राणापान, permettent la fusion des prāṇa, en inversant Udāna Prāṇa उदान et Āpaṇa Prāṇa आपण pour activer Samānā समाना et guider la Kuṇḍalinī dans son mouvement ascendant.

Les kumbhaka, qu’ils soient faits avec force par le Prāṇāyama avancé ou appréhendés par des concentrations subtiles méditatives dans l’observation du processus naturel du souffle, amènent par expérience, à la connaissance de la rétention spontanée du souffle qui va de pair avec l’expérience du vide.

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Il est dit : « Si l’énergie sous forme du souffle ne peut ni entrer ni sortir, lorsqu’elle s’épanouit au centre, en étant libre de dualité, par son entremise, on recouvre l’essence absolue. »

D’autres kumbhaka subtils peuvent être pratiqués lors de l’énonciation mentale ou articulée de certains phonèmes.
Certains d’entre-vous ont déjà pratiqué un certain nombre de ces méditations. Souvenez-vous des pratiques méditatives où l’on fait l’approche du Nāda नाद en se concentrant sur Anāhata अनाहत et sur l’instant initial lors de l’émission mentale de la voyelle sanskrite "A अ" sans suite, ce qu’on appelle le «  A nu ».
Si on complexifie l’exercice en imposant l’absence de résonance nasale et d’échappement du souffle, on part à la racine d’une expérience du vide absolu.

De même, souvenez-vous de ce travail méditatif sur le phonème Aḥ अः et sur l’instant final, en s’imprégnant du processus du Visarga विसर्ग, illustré par les deux points qui entrainent vers cette légère aspiration s’achevant dans le vide.

Là encore, ce travail contraint par un kumbhaka va amplifier la perception.

De même, d’autres exercices méditatifs peuvent être faits sur l’énonciation mentale d’une consonne sanskrite sans voyelle en se concentrant sur le cœur. La rétention associée provoquera des modifications mentales, des arrêts de la pensée, mettant fin au mécanisme de la dualité.
Seule subsiste alors la connaissance infinie véhiculée par le son absolu.

Pour revenir au mot Dvādaśānta द्वादशान्त, il signifie aussi « support », Ādhāra आधार et appartient aux seize types de support de concentration.
Ces Ādhāra sont appelés ainsi parce qu’ils "soutiennent" ou "localisent" le soi et sont généralement identifiés comme des endroits où le souffle peut être conservé.

Il y a donc les deux Dvādaśānta que j’ai décrit précédemment par rapport au nez et au cœur. Mais dans le yoga plus ésotérique, le Śaiva शैव yoga, (yoga du dieu Śiva शिव) ces Dvādaśānta vont être positionnés en fonction du Brahmarandhra ब्रह्मरन्ध्र.

Toujours dans la limite de douze largeurs de doigts, il y a donc le nāsikya-dvādaśānta, au-dessous du Brahmarandhra, à la racine du nez, pouvant être assimilé au Bhrūmadhya भ्रूमध्य et le śakti-dvādaśānta situé à douze repères au-dessus de l’ouverture crânienne, c‘est-à-dire au-delà du Brahmarandra.

La plupart des pratiques avancées impliquent un contrôle subtil des Prāṇāyama internes vers le haut entre ces deux espaces.

On en revient toutefois toujours à cette dualité des souffles inspirés et expirés que le yogi doit faire fusionner en un.
Celui qui se tient dans le vide absolu de l’axe central transcende la dualité dont l’un des pôles est douleur, l’autre est plaisir mais qui enchâsse l’être dans l’adversité.

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Il est dit dans la Chāndogya-Upaniṣad छान्दोग्य उपनिषद्

«  L’oiseau de feu fait son nid dans l’espace infini, toujours il réside dans l’entre-deux : éloigné de la terre et du ciel, sa confiance n’a point d’appui.
De là, son envol sans obstacle dans le vide illimité
. »

Allégorie du feu qui monte dans le vide absolu de la Suṣumṇā.
Allégorie à l’oiseau Haṃsa कलहंस qui s’envole vers les contrées où l’homme ordinaire ne peut aller.

La lune de l‘espace crânien (Brahmarandha cakra, Candra चन्द्र cakra, le système hypothalamique) distille le nectar rafraîchissant quand le feu de Kuṇḍalinī atteint le vide au sommet de son ascension. S’installe alors l’absence de tout vikalpa, à savoir toute spéculation du mental.

Le yogi n’a plus faim ni soif et ne renaîtra plus en ce monde.

Lallâ, poétesse et Yoginī du XIVe siècle parle ainsi du souffle et de la Kuṇḍalinī.
Elle nous dit ceci.
« J’ai retenu d’une bride ferme, le coursier de mes pensées.
Par une pratique intense, j’ai rassemblé les souffles de mes nadi.
Ainsi donc, la seizième portion de lune a fondu et s’est déversée sur moi.
Un vide s’est absorbé dans le Vide. »

Hari Om tat Sat
Jaya Yogācārya

Bibliographie :
 « La puissance du serpent » d’Arthur Avalon aux edts Dervy
 « La Kuṇḍalinī » de Lilian Silburn aux Edts Les Deux Océans
 Adaptation et commentaire de Jaya Yogācārya

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